En janvier 2022 à Dassilame Sérère (Sénégal), où l’élevage d’huîtres en guirlandes permet de protéger la mangrove. NICOLAS LEBLANC / ITEM

Au Sénégal, des huîtres et du miel pour sauver la mangrove


Des nouvelles pratiques agricoles tentent d’enrayer le déclin de cette forêt amphibie, victime de la surexploitation et du changement climatique. Par Théa Ollivier (Dassilame Sérère, Sénégal)

Les chevilles enfoncées dans la vase, à marée basse, Marianne Ndong scrute le demi-hectare de mangrove qu’elle a participé à replanter trois ans plus tôt aux abords de son village, Dassilamé Sérère, dans le delta du Sine Saloum, dans le sud du Sénégal. « Sans la mangrove qui retient l’eau, nos habitations allaient disparaître, et nous avec », explique l’ostréicultrice de 39 ans, coiffée d’un tissu wax bleu et jaune.

En Afrique de l’Ouest, 25 % de la superficie de cette forêt amphibie a disparu entre 1980 et 2006, selon une équipe de chercheurs américains. A l’origine de ce déclin : la surexploitation (pour le bois de chauffe ou de construction) des palétuviers, ces arbres aux racines aériennes qui vivent dans l’eau saumâtre. En cause également, le changement climatique avec la hausse des températures, la sécheresse et le déficit hydrique qui accélèrent l’évaporation de l’eau et augmentent donc la concentration de sel qui tue les palétuviers.

Avec l’érosion du littoral et l’ensablement des chenaux (appelés « bolongs ») qui en découlent, l’écosystème fragile se dégrade petit à petit. Selon les Nations unies, les mangroves disparaissent cinq fois plus rapidement que les forêts.

Dans la commune de Toubakouta, cinq hectares ont été replantés par les communautés ces trois dernières années, avec un taux de survie de 87 %. « Tout autour des jeunes palétuviers, nous notons une amélioration du sol : les crabes et les mollusques circulent, la texture de la terre est plus riche. L’année prochaine, nous pourrons planter dans des zones qui étaient devenues désertiques et sableuses, et qui sont redevenues propices au reboisement, explique Mamadou Bakhoum, coordonnateur au sein de l’association inter-villageoise de développement (AIVD). Cela nous permet de continuer le processus de récupération de terre doucement mais sûrement. »

« Ma vie a beaucoup changé »

Mais les dégâts sont déjà là. « Quand j’étais petite, nous avions des arbres et des fruits que nous ne trouvons plus aujourd’hui », remarque Marianne Ndong, qui met en cause une salinisation des terres agricoles devenues incultivables. La mangrove est une zone protectrice entre la terre et la mer, qui a un impact sur la qualité du sol et donc sur sa productivité. Elle permet aussi de capturer et d’emmagasiner le carbone. Au total, au niveau mondial, 21 milliards de tonnes de CO2 sont stockées dans cette végétation, selon un rapport de l’ONG Wetlands International de juillet 2021. « Cet espace est vital pour les espèces qui s’y nourrissent et qui s’y reproduisent, mais il est aussi important pour nous, car il nous protège et nous nourrit », plaide Marianne Ndong, qui tire ses revenus de l’exploitation de la mangrove.

Les femmes de trois villages se sont regroupées pour s’adapter face à la raréfaction des huîtres sauvages. Au détour d’un bolong, une trentaine d’entre elles travaillent les chevilles enfoncées dans la vase à marée basse. Dans cette petite lagune au milieu de la mangrove, elles élèvent des huîtres locales, dont les naissains se sont fixés sur des guirlandes de coquilles immergées où elles se développent en grappes. Elles les font ensuite grossir dans des pochons flottants. Une fois élevées durant une année dans le parc ostréicole, les huîtres sont transférées dans le tout récent bassin de dégorgement où elles dégagent les impuretés qu’elles ont consommées. Puis elles sont vendues grillées, principalement à une clientèle touristique française et belge.

Une nouvelle chaîne de production mise en place depuis trois ans, qui reste artisanale mais qui est plus moderne et durable, selon ses créateurs. « Traditionnellement, mes parents et grands-parents coupaient les racines des palétuviers pour récolter les huîtres sauvages, mais cela participait de la disparition de la mangrove », se souvient Marianne Ndong.

« En plus de ne pas respecter l’environnement, la méthode traditionnelle n’est pas rentable, ajoute M. Bakhoum, de l’AIVD. Il a donc fallu changer les comportements pour à la fois générer de l’argent et régler un problème écologique. » L’agronome de formation souligne que les perches sur lesquelles sont suspendues les guirlandes d’huîtres forment une barrière devant la mangrove que les coupeurs de bois ne peuvent plus franchir. Et, au lieu de vendre le kilogramme d’huîtres séchées à 3 000 francs CFA (4,5 euros), les femmes peuvent maintenant vendre la douzaine à 2 000 francs CFA. Ces trois derniers mois, elles ont pu vendre 3,7 tonnes d’huîtres pour un chiffre d’affaires de 15 millions de francs CFA. « Ma vie a beaucoup changé, je peux maintenant payer les études de mes enfants », témoigne Marianne Ndong, qui travaille aussi dans le maraîchage biologique et l’apiculture.

Fort potentiel des abeilles

Une soixantaine de ruches ont par ailleurs été installées par l’AIVD : une source de revenus supplémentaire, le miel de mangrove sucré-salé, très prisé, étant vendu plus cher. Il permet également de faire revenir des colonies d’abeilles. Agressives, celles-ci protègent les forêts où les coupeurs de bois n’osent plus s’aventurer. « J’avais appris qu’il fallait tuer les abeilles pour récolter le miel, maintenant nous avons du matériel pour nous protéger », se réjouit Marianne Ndong. Mais, avec seulement cinq à dix kilogrammes de miel récoltés par ruche tous les trois mois, la production est encore insuffisante, estime Mamadou Bakhoum, qui souligne le fort potentiel de ce secteur. « Il est difficile d’élargir la production à cause de l’agressivité des abeilles, nous travaillons donc à la sélection d’une espèce », explique-t-il.

Tous ces projets ont en partie pu être mis en place grâce à un financement du fonds international de développement agricole (FIDA), une institution des Nations unies qui a investi 8,89 millions de dollars (environ 7,9 millions d’euros) au niveau national pour « améliorer la sécurité alimentaire des petits exploitants et leur résilience face à la dégradation de l’environnement et à la variabilité du climat ». L’idée est donc de laisser les populations exploiter ces ressources sans endommager la mangrove, tout en y trouvant leur intérêt.

Mais le problème reste de mettre toutes ces initiatives à l’échelle nationale, pour avoir un réel impact environnemental sur les 200 000 hectares de mangrove dans le pays. « Il manque des actions coordonnées de protection, de conservation, de restauration et de valorisation de la mangrove. Nous souhaitons un plan national du gouvernement ou des collectivités territoriales pour sauver la mangrove dans ces zones, plaide Semou Diouf, chargé de programme du FIDA au Sénégal. Il faut davantage investir dans les activités d’adaptation au changement climatique, c’est ce qui permettra de sauver les écosystèmes qui font vivre les petits producteurs. »

Pour Mamadou Bakhoum, les défis sont encore nombreux. « Gros œuvre, ruches, transport, chaîne du froid, filtre pour le bassin de dégorgement… La liste de ce qui nous manque est longue », énumère le coordonnateur, pour qui les projets sont encore trop petits pour protéger réellement la mangrove, les activités génératrices de revenus ne touchant qu’une partie de la population.


Théa Ollivier(Dassilame Sérère (Sénégal))

 

Cet article est à partir de l'article publié sur Le Monde Afrique. 

Visitez l'article original ici.


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